Du gaz à effet de serre CO₂ à l’essence

Le dioxyde de carbone (CO₂), principal gaz à effet de serre, est considéré comme le premier responsable du réchauffement climatique. Ces dernières années, les pays s’efforcent de réduire les émissions de CO₂ sous l’effet des politiques de limitation du carbone. L’essence est l’un des carburants les plus largement utilisés au monde. Avec le développement de la société moderne, elle est devenue non seulement indispensable à la production et à la vie quotidienne d’un pays, mais aussi une nécessité pour de nombreuses personnes. L’un est un gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement climatique, l’autre une source d’énergie précieuse dont la population dépend de plus en plus. Bien qu’ils paraissent sans rapport, les scientifiques ont découvert qu’ils sont étroitement liés.

En 2017, une équipe de chercheurs dirigée par Sun Jian et Ge Qingjie de l’Institut de chimie de Dalian de l’Académie chinoise des sciences (DIC) a mis au point un nouveau procédé de conversion efficace du CO₂. Grâce à la conception d’un catalyseur composite multifonctionnel inédit, ils ont réalisé la première hydrogénation directe du CO₂ pour produire une essence à indice d’octane élevé. Les résultats ont été publiés le 2 mai dans la revue britannique Nature Communications, et le procédé ainsi que les matériaux catalytiques afférents ont été brevetés. Ce travail a été salué par les spécialistes comme « une percée dans le domaine de la conversion catalytique du CO₂ ».

Dans la nature, les plantes absorbent le CO₂ de l’air et, par photosynthèse, le transforment lentement en matière organique et en oxygène. Ce processus a inspiré les chimistes à recycler chimiquement le CO₂, ce qui permettrait également de réduire la dépendance aux énergies fossiles traditionnelles.

L’activation et la conversion sélective du CO₂ demeurent toutefois des défis majeurs. Par rapport au monoxyde de carbone (CO), plus réactif, la molécule de CO₂ est très stable et difficile à activer. Les méthodes traditionnelles, comme le procédé Fischer-Tropsch, aboutissent souvent à de petites molécules (méthane, méthanol, acide formique) plutôt qu’à des hydrocarbures liquides à chaîne longue, rendant la production directe d’essence délicate.

Pour relever ces défis, l’équipe a conçu de manière créative un catalyseur composite multifonctionnel efficace et stable. Grâce à la synergie de plusieurs sites actifs, le catalyseur a obtenu une sélectivité faible pour le méthane et le monoxyde de carbone dans des conditions proches de l’industrie, avec 78 % de sélectivité pour les hydrocarbures de la coupe essence parmi les produits. Cela dépasse largement les résultats précédemment rapportés. De plus, ces fractions sont principalement constituées d’isoparaffines et d’aromatiques à haut indice d’octane, répondant aux exigences de la norme nationale V concernant le benzène, les aromatiques et les oléfines.

Le catalyseur a également montré une bonne stabilité : il peut fonctionner plus de 1 000 heures en continu, ce qui laisse entrevoir une application pratique. Contrairement aux catalyseurs conventionnels, il renferme trois sites actifs compatibles et complémentaires (Fe₃O₄, Fe₅C₂ et des sites acides).

La molécule de CO₂ est convertie via un procédé en « trois étapes » grâce à ces trois sites actifs soigneusement agencés. D’abord, le CO₂ est réduit en CO par réaction inverse gaz à eau sur le site Fe₃O₄. Le CO généré est ensuite transformé en α-oléfine par réaction Fischer-Tropsch sur le site Fe₅C₂. Enfin, l’oléfine migre vers le site acide du tamis moléculaire, où elle subit oligomérisation, isomérisation et aromatisation pour produire sélectivement des hydrocarbures de la coupe essence.

Le contrôle précis de la structure et de l’agencement spatial de ces trois sites actifs est la clé de l’hydrogénation du CO₂ en essence. Cette technologie ouvre non seulement de nouvelles perspectives pour l’étude de l’hydrogénation du CO₂ en carburants liquides, mais elle offre également des possibilités innovantes d’utiliser les sources d’énergie renouvelables intermittentes (éolien, solaire, hydraulique, etc.). Outre la réduction des émissions de CO₂, ce nouveau procédé présente d’importants avantages économiques.

Articles : Directly Converting CO2 into a Gasoline Fuel

Production industrielle de masse

Selon un reportage de China News daté du 4 mars, l’Institut de chimie de Dalian de l’Académie chinoise des sciences (DICP) a annoncé que la première unité pilote mondiale d’hydrogénation du dioxyde de carbone en essence, d’une capacité annuelle de 1 000 tonnes, a été mise au point en collaboration avec Zhuhai Fusheng Energy Technology Co.

Unité de production de masse par hydrogénation du dioxyde de carbone
Unité de production de masse par hydrogénation du dioxyde de carbone

L’équipe travaille à l’industrialisation de cette technologie depuis 2017 et, en 2020, elle a achevé la construction d’une unité pilote de 1 000 tonnes dans le parc industriel de Zoucheng, province du Shandong. Depuis, divers essais (mise en service, fonctionnement normal, optimisation des données industrielles) ont été menés.

En octobre 2021, la Fédération chinoise de l’industrie du pétrole et de la chimie a organisé une évaluation sur site. Il est apparu que l’installation avait nettement réduit la consommation d’hydrogène et de CO₂, maintenu une faible consommation énergétique globale, produit une essence propre et respectueuse de l’environnement, et atteint les objectifs de performance et de production. Des tests tiers ont montré que l’essence obtenue affichait un indice d’octane supérieur à 90, avec une plage de distillation et une composition conformes aux normes nationales VI.

Le 4 mars 2022, la technologie a passé une nouvelle évaluation du comité des réalisations scientifiques et technologiques à Shanghai. Les experts ont conclu à l’unanimité qu’il s’agissait de la première technologie mondiale d’hydrogénation du CO₂ en essence, dotée de droits de propriété intellectuelle totalement indépendants et représentant un résultat de niveau international.

Points forts surprenants

Le catalyseur utilisé est relativement simple à préparer et les matières premières sont peu coûteuses : FeCl₃, FeCl₂, NaOH et un tamis moléculaire courant. Il est donc bien plus économique que les catalyseurs sophistiqués souvent décrits dans la littérature scientifique. L’équipe a également montré que les trois étapes de réaction pouvaient être ajustées en modifiant la composition du catalyseur. À l’avenir, une meilleure sélectivité pourrait être obtenue avec des tamis moléculaires adaptés, ouvrant la voie à la synthèse d’autres produits de valeur.

Répartition des produits, rendement de conversion et conditions de réaction
Répartition des produits, rendement de conversion et conditions de réaction

Cependant, les performances du matériau ne répondent pas totalement aux attentes initiales et les chiffres de conversion pour H₂/CO₂ = 3 ne sont pas particulièrement impressionnants. Néanmoins, sa valeur applicative est indéniable. Il est remarquable que la sélectivité pour les produits C₅-C₁₁ se maintienne entre 70 % et 80 %, avec une composition de fraction stable. Le système présente également une stabilité à long terme, satisfaisant ainsi aux exigences industrielles de base.

La contribution la plus significative de cette recherche réside dans son application pratique. Alors qu’une grande partie des travaux actuels sur la réduction du CO₂ reste confinée au laboratoire, souvent avec des métaux précieux pour atteindre des rendements ultimes, cette étude adopte une approche différente : au lieu de viser l’efficacité maximale à tout prix, elle utilise un catalyseur relativement bon marché. Cet article revient ainsi à l’essentiel de la technologie de réduction du CO₂ en obtenant des conversions et des sélectivités raisonnables dans des conditions industrielles.

La signification de l’hydrogénation du CO₂ en essence

Beaucoup se demandent peut-être pourquoi convertir le CO₂ en essence si c’est pour que l’essence brûle et redevienne CO₂. On pourrait croire qu’on déploie beaucoup d’énergie pour un résultat identique, donnant l’impression d’un gaspillage.

Honnêtement, c’est ce que je pensais au début. Pourtant, au fil de mes recherches, j’ai compris que ce procédé est en réalité très pertinent.

1. Stockage d’énergie.

De nombreuses régions du monde sont propices au développement de l’éolien et du solaire. Or, ces énergies sont intermittentes et instables, ce qui les rend moins adaptées à une injection directe dans le réseau. L’énergie requise pour convertir le CO₂ en essence peut provenir de ces sources renouvelables. Dans ce contexte, l’électricité éolienne, solaire ou les surplus industriels—peu faciles à utiliser directement—peuvent alimenter cette réaction, comme le mentionne l’article.

Bien que la conversion CO₂ + H₂ → essence soit intrinsèquement peu efficace, si elle sert à absorber l’excédent d’électricité, sa faisabilité s’améliore une fois industrialisée. Ce circuit énergétique devient alors analogue à une centrale de stockage par pompage : on transforme l’électricité bon marché des heures creuses en une forme énergétique plus précieuse aux heures de pointe. Pour la centrale seule, cela peut sembler peu rentable, mais à l’échelle du réseau, avec ses pics et ses creux, l’opération est économiquement justifiée.

À plus grande échelle, la chaîne « éolien + capture de carbone + hydrogénation du CO₂ en essence » est pertinente. Si cette technologie, permettant de transformer de l’eau et du CO₂ en essence, pouvait être mise en œuvre, chaque parc éolien ou solaire deviendrait virtuellement un champ pétrolifère.

2. Réduction de l’exploitation des combustibles fossiles :

Le cycle CO₂ → essence → CO₂ maintient le carbone dans le cycle, réduisant ainsi le besoin d’extraire des ressources fossiles tout en satisfaisant une partie (certes modeste) de la demande énergétique.

3. Application dans des situations spécifiques :

Dans certains contextes confinés, comme les sous-marins nucléaires où il faut gérer le CO₂, il est possible de le convertir avec des peroxydes pour produire de l’oxygène. Grâce aux technologies émergentes permettant de transformer le CO₂ en méthanol, voire en essence, convertir le CO₂ en carburant devient une solution pratique. Dans ces cas où la conversion est impérative, le coût passe au second plan.